L’innovation thérapeutique, sujet chaud chaud chaud…

HTA copie

Parmi le Top 3 des buzzwords qui circulent aujourd’hui dans le petit monde des acteurs de la santé publique en France, on trouve « démocratie sanitaire », « e-patient » et… « innovation thérapeutique ». Pas un débat, pas une tweetline, pas un pince-fesses sans ce tiercé gagnant. Et au cœur de ces concepts trône le patient (enfin, c’est ce que l’on nous dit).
Je reviendrai sur la démocratie sanitaire et l’e-patient plus tard. Restons un peu sur l’innovation thérapeutique qui semble fleurir au printemps. En effet, depuis la présentation du 3e Plan Cancer début février et la place qu’il accorde à l’accès à l’innovation, une floraison d’initiatives diverses est venue embellir mon petit balcon professionnel.

Un bouquet de propositions
Prenons par exemple l’initiative des laboratoires Lilly qui viennent de lancer eMEET, la déclinaison digitale de leur programme MEET (Medicine Evaluation Educational Training). Neuf chapitres d’e-learning qui expliquent aux représentants des patients les arcanes de l’HTA (Health Technology Assessment). Passons sur le degré pédagogique zéro de ces modules trop scolaires (une « talking head » sur fond blanc à l’heure du web collaboratif, ça relève du geste provocateur !), que reste-t-il ? Pas grand chose si ce n’est que l’HTA devrait être une partie importante du travail des associations de patients.

Autre floraison printanière, celle d’EUPATI (European Patients’ Academy on Therapeutic Innovation), une initiative Commission européenne / EFPIA. EUPATI recherche des testeurs béta pour les modules d’e-learning de son programme de formation (qui aura lieu à l’automne et dont les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 20 avril 2014). De plus, EUPATI souhaite identifier des représentants de patients qui auraient des expériences à partager sur leur travail autour de l’accès aux innovations thérapeutiques. Récemment, un passionnant Forum organisé par Décision Santé a eu lieu autour de l’innovation en cancérologie, forum qui regroupait des soignants, des décideurs et des représentants de patients. Même l’ANSM s’y met et lance une newsletter Innovation. Je pourrais continuer la liste, les initiatives ne manquent pas.

Mais pourquoi ce soudain emballement ? L’HTA n’est pas une affaire nouvelle, y compris pour les représentants des patients (par exemple, le « Patient and Citizen Involvement in HTA Interest Group » du HTAi, la société internationale pour la promotion du HTA, existe depuis 2005). Certes, l’innovation est un buzzword bien au-delà de la santé, souvent au seul profit des stratégies marketing, mais quand même, pourquoi tout le monde a-t-il ce mot aux lèvres ?

Une crainte partagée par tous
Il semble qu’il faille voir là le fruit d’une crainte globalement partagée par les professionnels de santé, les associations de patients et l’industrie pharmaceutique, crainte de voir les contraintes économiques rogner sur l’accès à des innovations de plus en plus chères, pour des populations de patients de plus en plus stratifiées. Pour les médicaments, la fenêtre de retour sur investissement a été sévèrement raccourcie par les génériques et par la durée parfois grandissante des études cliniques, et toute réduction de l’accès précoce pour tous les patients concernés se traduit par des pertes financières conséquentes.

Alors cette crainte ? Fantasme ou réalité ? Pour le savoir vraiment, il faudrait avoir des outils d’observation de l’accès aux soins innovants en temps réel et ces outils manquent cruellement. Pour l’accès aux programmes compassionnels, il existe quelques initiatives comme l’observatoire d’accès aux traitements contre l’hépatite C du Collectif Hépatites Virales et du TRT-5, ou la vigilance des associations sur les tentatives de réformes maladroites du dernier PLFSS. Mais pour l’accès aux médicaments innovants sans ATU, quelle remontée des problèmes ? En l’absence de cas documentés, il ne reste que quelques histoires de chasse colportées par des personnes qui ne sont pas dans l’objectivité la plus objective…

Se mettre en ordre de marche au cas où
Pourtant, la logique économique nous dit qu’il y aura forcément des restrictions. Le prix de l’innovation s’envole (Sovaldi, traitement de l’hépatite C des laboratoires Gilead à 61 000 € pour huit semaines de traitement, soit 730 € le comprimé) et les autorités vont forcément devoir mettre des garde-fous. Le problème n’est plus de savoir s’il y aura rationnement ou pas. Le problème aujourd’hui est, pour les représentants de patients comme pour les professionnels de santé, de se mettre en ordre de marche pour être réactifs et unis le jour où cela arrivera. Mettre en place des observatoires fiables, comprendre les tenants et les aboutissants de la logique médico-économique, prévoir des stratégies de rationnement éthiques et intelligentes (ça existe), en menant entre-temps toutes les actions nécessaires pour ces stratégies ne servent jamais.

Les initiatives de formation à l’HTA des représentants de patients doivent tendre vers ce triple objectif. En puisant dans l’expérience de ceux qui ont déjà mené ce type de combat (qui se souvient de la délirante proposition de tombola du Conseil national du sida pour distribuer les antiprotéases ?), en organisant des remontées du terrain en lien avec les soignants pour détecter les premiers signes de restriction organisée, en étant familier des stratégies mises en œuvre dans les autres pays européens, en travaillant sur des critères médico-économiques novateurs et plus adaptés que le QALY, etc.

En ce sens, EUPATI semble avoir mieux compris la situation que Lilly, mais tout cela manque encore de collaboration entre les associations de patients, et entre celles-ci et les professionnels de santé. Et ça, ma bonne dame, c’est de la VRAIE démocratie sanitaire ! Buzzzzword !!!!

Dépistage du cancer colorectal : encore du chemin à faire…

cancer

Aujourd’hui, deux ans après la recommandation de la HAS d’utiliser le test immunologique pour le dépistage organisé du CCR, la France patine encore dans le vieux test au gaïac (Hemoccult II) : six prélèvements de selles à tartiner sur des plaquettes, répartis sur trois selles successives (au lieu d’un seul trempage d’écouvillon pour le test immunologique). Soyons clair, la manipulation des selles peut largement expliquer la réticence des Français à se faire dépister : environ 32 % de la cible obtempère alors qu’il en faudrait plus de 50 % pour rentabiliser le dépistage. Trente deux pour cent, c’est 10 % de moins qu’en 2007. Nous perdons plus d’un point par an !

On nous promet la généralisation du test immunologique pour la fin 2014 (http://www.e-cancer.fr/depistage/depistage-du-cancer-colorectal/espace-professionnels-de-sante/du-test-au-gaiac-au-test-immunologique). Mais il aura fallu qu’une tribune d’experts bien sentie dans le Monde en janvier (http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/01/13/depistage-du-cancer-colorectal-agissons-maintenant_4347325_1650684.html) pour que l’appel d’offres soit enfin lancé. Déplorable. Chaque année perdue à persister dans l’Hemoccult II aura coûté environ 3 000 décès.

Déjà d’autres outils de dépistage commencent à faire parler d’eux : test urinaire (http://sante.lefigaro.fr/actualite/2014/02/28/22055-cancer-bientot-detectable-chez-soi-heure), test sanguin (http://www.unifr.ch/news/fr/11611/). Récemment, j’ai assisté à la présentation d’un algorithme qui, avec les données relatives aux hématies/hémoglobine d’une prise de sang standard, est capable de dépister le CCR mieux que l’Hemoccult II. Combien d’années faudra-t-il pour disposer des tests sanguins ou urinaires ? Et pour une chose aussi peu traditionnelle qu’un algorithme, combien de décades ?

La première constatation qui s’impose, c’est que les associations de patients, comme les médecins, ne sont pas très doués pour accélérer la mise à disposition de l’innovation en termes de dispositifs médicaux. Pour les médicaments, elles commencent à avoir de l’expérience, mais pour les dispositifs médicaux, elles avancent à tâtons dans un labyrinthe réglementaire et politique riche en zones d’ombre et de non-dit.

La seconde constatation, c’est que gaïac, immunologie, sang, urine ou algorithme, le dépistage passera toujours à travers le filtre du médecin généraliste. Aujourd’hui, c’est lui remet le kit de dépistage Hemoccult II et il en sera de même demain avec le test immunologique. Paradoxalement, alors que le pourcentage de personnes qui font le test de dépistage du CCR recule un peu plus chaque année, les organismes régionaux qui gèrent ce dépistage se plaignent du fait que les généralistes sont de plus en plus réticents à recevoir leurs représentants : surcharge de travail et ras-le-bol de la pression des caisses primaires et des diktats étatiques sont les raisons le plus souvent invoquées.

Il est grand temps :

  • d’exiger davantage de campagnes d’information grand public centrée sur les dangers de cette maladie toujours mal connue : le CCR tue trois à quatre fois plus de Français que les accidents de la route et davantage de personnes que le cancer du sein, mais trop peu de personnes le savent.
  • de s’organiser pour remobiliser les généralistes dans leur rôle de promoteurs du test ;
  • d’impliquer de nouveaux acteurs de proximité dans la promotion du dépistage du CCR : pharmaciens, infirmières libérales, travailleurs sociaux, associations de quartier, etc. La proximité est de mise lorsqu’il s’agit de vaincre des résistances liées à la méconnaissance ou à la gêne face à un test qui implique de manipuler les selles.